Au XVIe siècle, la France était le pays le plus peuplé (16 millions) et le mieux unifié d'Europe.

 Dans la première moitié du siècle, le pouvoir du roi de France ne cessa de s'affermir grâce à une consolidation des institutions (utilisation du Français au détriment du Latin, nomination des Évêques par le roi,...) et au rattachement de plusieurs principautés ou duchés (Bretagne en 1491, par ex.).

 Les merveilles de la Renaissance rapportées des guerres d'Italie par Charles VIII et  François Ier  ajoutaient au prestige de la cour de France.


   Mais les guerres répétées contre les pays voisins et le train de vie fastueux de la cour ont coûtées cher à l'État, d'autant plus qu'apparaîtront  des tensions entre catholiques et protestants.


Ce que, fut l'Europe de la Renaissance

DENYS HAY     BIBLIOTHÈQUE ARCACHON 

A partir des IVe et Ve siècles, notre continent commence son évolution autonome, l'histoire de la civilisation européenne présente une série de mutations successives.

 Ces changements survenus dans la manière d'être sociale et dans la conception générale de la vie et de l'art, qui furent communs aux pays les plus importants, nous les désignons souvent, en les simplifiant, par les mots clés d'Europe barbare, d'Europe gothique, d'Europe de la Renaissance et ainsi de suite. 

Ces termes prêtent évidemment à confusion si on leur fait sous-entendre que ces diverses périodes historiques sont nettement délimitées. La plupart des hommes qui les vécurent ne furent pas conscients des hiatus que les générations suivantes jugèrent commode d'introduire dans le passé et, comme nous le verrons, il y eut, dans la «Renaissance», une large part de «gothique». 

Sur ce point, il est bon d'insister dès l'abord. Si par Renaissance, nous entendons une période qui s'étend approximativement sur les XVe et XVIe siècles, il est certain que tout ce qui se rattache à cette époque est «Renaissance», de même que tout ce qui se passa au XVIIIe siècle est «du XVIIIe siècle

 Mais le terme de Renaissance est, depuis si longtemps, appliqué, dans un sens plus restreint, à un moment de la culture européenne, de la littérature, de la science et des beaux-arts, qu'il recouvre non seulement une période donnée mais aussi les problèmes de cette période. 

. Les hommes et les événements appartiennent à la Renaissance, mais ce que nous considérons comme le véritable style Renaissance fut loin d'être universellement répandu avant la fin de l'époque ainsi désignée.

Le paradoxe italien

Ces grandes phases assez artificiellement établies sont en général associées à certaines régions de l'Europe. Le rôle fécondateur de la France du nord au Moyen Age, des pays de la Manche et de la mer du Nord, puis de l'Allemagne un peu plus tard, fut repris par l'Italie lors de la Renaissance; c'était la première fois depuis l'Antiquité qu'elle allait servir de guide aux pays voisins empressés à la suivre.

 L'Italie de la fin du XlVe et du XV` siècle était beaucoup moins riche qu'elle ne l'avait été et souffrit, pendant presque toute cette période, d'un déclin économique qui affecta également d'ailleurs le reste de l'Europe; quant à sa vie politique, elle était remplie des guerres agitant les petits Etats ou les dressant les uns contre les autres. Fidèle à sa conduite traditionnelle, la papauté continuait à s'opposer à l'émergence de toute puissance dominante, mais elle n'y parvenait qu'en sacrifiant elle-même quelque peu de son pouvoir politique. 

La Curie avait résidé hors d'Italie et en Avignon pendant presque tout le XIV* siècle et, lorsqu'elle revint à Rome, ce fut pour provoquer le Grand Schisme de 1378, qui dura jusqu'en 1417, et que suivirent ensuite trois décennies au cours desquelles l'autorité du vicaire du Christ fut défiée par les tentatives du concile visant à la réduire à une monarchie constitutionnelle. C'est sur cette toile de fond qu'évoluaient le principautés italiennes. 

Les communes du nord tombèrent aux mains de despotes locaux, les républiques de Toscane absorbèrent les cités voisines et, au sud, le royaume de Naples, souffrant du mauvais gouvernement chronique des princes de lignée française, était partagé entre ses prétentions sur la Méditerranée orientale et sa crainte des Aragonais établis en Sicile. Un peu plus tard, d'autres événements influencèrent aussi la vie publique. 

De Milan, la famille Visconti en était venue, à la fin du XIVe siècle, à étendre sa domination à toute la plaine lombarde; Jean-Galéas Visconti, époux d'une princesse française, acheta en 1395 le titre de duc à l'empereur Wenceslas et ne fit aucun mystère de son dessein de s'agrandir vers le sud, aux dépens des États divisés de l'Église et de la Toscane.

 Il n'y réussit pas mais légua son ambition à son fils, le duc Philippe-Marie (1392-1447). Les Visconti parvinrent du moins à établir un gouvernement fort qui, en 1450, passa à François Sforza

. En Toscane, Florence jouissait d'une suprématie indiscutée; à partir de 1434, la famille Médicis renforça son autorité effective sur la cité tout en lui conservant habilement son statut de république. 

Florence ne comptait qu'une seule grande rivale commerciale, c'était une autre république, celle de Venise, qui était sortie triomphante de sa longue compétition avec Gênes pour accaparer le commerce du Levant; elle était représentée par un doge élu à vie mais dépourvu de toute puissance réelle, et s'était donné une constitution d'une enviable stabilité, permettant aux familles patriciennes de gouverner la ville et ses possessions d'outre-mer grâce aux rouages complexes d'une administration bien organisée.

Au début du XVe siècle, les guerres sévissant en Italie obligèrent Venise à entreprendre une politique d'agression dans la péninsule même, ce qui lui valut, à la fin du siècle, une considérable extension territoriale, tandis que, dans la mer Égée, le; Turcs ottomans s'empressaient de la dépouiller de ses colonies. Enfin, il devait se révéler de la plus haute importance que le roi d'Aragon Alphonse V se fût lancé, à partir de la Sicile, à la conquête du royaume de Naples (1435-1442). Ce fait fut lourd de conséquences car, à la mort de Ferdinand, successeur d'Alphonse V i Naples, le roi de France Charles VIII fit valoir ses droits sur Naples et envahit l'Italie en 1494. Louis XII, à son tour, se proclama duc de Milan dès son accession au trône en 1498, mais, à ce moment, le roi d'Aragon s'avisa de réclamer sa part et, dès lors, l'Italie devin la proie des envahisseurs étrangers. Quand les guerres d'Italie prirent fin de façon définitive en 15 3 8, le pays se trouvait à la merci de Charles Quint, prince de Habsbourg élevé en Bourgogne, don le pouvoir s'étendait non seulement à la plus grande partie de l'Italie, mais à l'Aragon et la Castille (avec leurs colonies américaine, en pleine expansion) et aux territoires de l'Autriche, et qui, en outre, de par son titre de Saint Empereur germanique, était à la tête des principautés allemandes. Sous son règne, l'Italie fut administrée par des gouverneurs et des vice-rois espagnols, et occupée par des troupes espagnoles.

La vie politique en Europe

Si la violence domine l'histoire de l'Italie au XIV, au XVe et au début du XVIe siècle, il serait faux d'imaginer qu'en revanche la paix régnait ailleurs. La France et l'Angleterre étaient aux prises dans les hostilités intermittentes de la guerre de Cent Ans, de 13 37 à 145 3, et chacune d'elles dut faire face à de longues périodes de troubles intérieurs. Successivement, en 1327, 1399, 1471 et 1485, les rois d'Angleterre furent déposés de force par des usurpateurs triomphants, et les luttes sordides qui désolèrent le milieu du XVe siècle se sont vues mensongèrement désignées du nom gracieux de guerre des Deux-Roses. En France, à partir de i 3 9 z, le roi Charles VI sombra dans des crises de folie, ce qui donna libre champ aux rivalités des princes avides de disposer des finances royales selon leurs intérêts personnels: ainsi débutèrent les luttes des Bourguignons et des Armagnacs, dont Henri V d'Angleterre profita pour envahir la France, et qui ne prirent fin qu'avec la mort de Charles le Téméraire, tué en 1477. L'histoire intérieure de l'Allemagne, des pays scandinaves ou du royaume d'Espagne n'est pas moins mouvementée. A la fin du Moyen Age, il n'y a guère de paix en Europe.

Bien qu'il soit tentant, pour expliquer les découvertes culturelles de l'Italie, de relever les points sur lesquels elle différait alors des autres pays, il est préférable au contraire d'insister, d'abord, sur les caractères communs de la vie publique européenne. Nous comprendrons mieux ainsi pourquoi les idées italiennes rencontrèrent une si rapide adhésion. La guerre, les troupes de mercenaires, la régression économique n'étaient pas les seuls éléments de similitude. La France, l'Angleterre, la Castille, l'Aragon et beaucoup d'autres contrées de l'Europe étaient des monarchies où l'autorité royale n'avait cessé de croître depuis le XIIIe siècle. En Allemagne et en Italie, le pouvoir des princes se limitait à de moindres territoires et joua par là même un moindre rôle dans l'unification du pays, mais il fut également moins affecté par le mouvement de centralisation né du sentiment patriotique et des affinités linguistiques. Toutefois, dans leurs petits domaines, un duc d'Autriche ou un margrave de Brandebourg, un duc de Milan ou un marquis de Mantoue se conduisaient de la même manière que leurs puissants contemporains, les rois de France, d'Aragon ou d'Angleterre. Dans tous les pays se rencontraient une haute et une petite noblesses, une bourgeoisie, un clergé, des hommes de loi; partout l'instruction prenait une importance grandissante, et partout s'ouvraient des écoles et des universités.

La vie culturelle en Europe

Dans les domaines de la morale et de la culture, l'Europe était aussi remarquablement unanime. Ce n'était que par le renoncement au monde qu'un homme pouvait espérer faire son salut. «A chacun selon ses oeuvres»: cette doctrine était ardue pour des hommes préoccupés de fortifications ou d'héritages, de contrats ou de registres, et qui tous s'intéressaient au marché des alliances matrimoniales. Le problème semblait plus angoissant encore pour les nombreux chrétiens émus par l'exemple de saint François, dont la fiancée n'apportait en dot ni champs, ni charges, ni maison, ni comptoir dans la Grand-Rue, puisqu'elle avait nom Pauvreté. Il serait toutefois déraisonnable d'en conclure que ces gens, obligés de passer leur vie à la gagner et à dépenser, à élever des enfants, à régler les affaires du voisinage ou bien celles de l'État, vivaient dans l'oppression continuelle de problèmes de conscience. Mais, s'ils y réfléchissaient, ces problèmes étaient là. Il était couramment

admis que les hommes d'Église, les moines en particulier, en se retranchant des nécessités quotidiennes, se conformaient mieux aux volontés de Dieu que les laïcs.

En ce qui concerne l'art et la culture, il est essentiel de se rappeler l'étroite unité qui régnait en Europe. L'enseignement universitaire, il est vrai, tendait à se décentraliser. Disposant de leurs propres Facultés, les Écossais fréquentèrent moins souvent Oxford; en 1300, il existait en France cinq universités, en 1500, il y en avait dix-sept (certaines, cependant, de peu d'importance), et Paris en souffrit. Mais aux XIV' et XVe siècles, la Faculté de droit de Bologne attirait encore l'étudiant ambitieux d'Allemagne ou de Suisse, et le prestige de la Sorbonne en matière de théologie demeurait intact. Les genres littéraires se diffusaient rapidement: Chaucer doit beaucoup aux influences italienne et française; le roman en prose français se répandit partout. Mais, plus encore, comme l'expose dans ce livre le Professeur Ettlinger, ce sont les artistes qui témoignent de préoccupations communes.

L'Italie

Toutes ces caractéristiques, l'Italie les partageait avec les autres sociétés européennes. Elle présentait toutefois certaines différences qu'il faut souligner. L'une était la forte proportion de villes, d'où résultait, pour la bourgeoisie, une importance qu'elle n'avait pas ailleurs. La noblesse elle-même avait des intérêts commerciaux, et la plupart des princes étaient d'origine urbaine - ceux du royaume de Naples constituant la principale exception. Une autre différence était le grand nombre d'hommes professionnellement qualifiés, d'hommes de loi et d'hommes d'Eglise surtout, par rapport à l'ensemble de la population. Ces hommes de loi (souvent doctores utriusque juris, également versés en droit civil romain et en droit canon) avaient une culture étendue et un intérêt instinctif pour l'Antiquité. Ils occupaient des charges importantes dans l'administration des républiques et des principautés, et incarnaient souvent le loyalisme local. Plus représentatifs encore étaient les riches marchands, surtout dans les grands centres tels que Venise, Gênes et les villes de Toscane, Florence en particulier.

La remarquable activité créatrice de Florence, qui constitue le début de la Renaissance, fait l'objet des chapitres signés par le Professeur Rubinstein et le Docteur Murray- Vers le milieu du siècle, l'exemple de Florence - mais dépouillé de ses attributs républicains originels - ses styles et ses techniques artistiques commencent à gagner les principautés voisines : tel est le thème du chapitre du Professeur Grayson. Un peu plus tard, la Renaissance s'étend au reste de l'Europe, phénomène étudié dans les chapitres consacrés à l'Allemagne (Professeur Porter), à la France (Professeur McFarlane), à l'Angleterre (Professeur Hurstfield), à l'Espagne (Professeur Parker). L'invention de l'imprimerie active cette diffusion des idées et des modes artistiques. De Mayence, en 1450, elle se répand bientôt dans tous les pays, en particulier en Italie où naissent les deux grands types de caractères de l'imprimerie moderne: le romain et l'italique. L'une des plus étonnantes réalisations de la Renaissance est l'assimilation rapide non seulement des techniques d'imprimerie italiennes, mais aussi de l'écriture manuscrite cursive utilisée par la chancellerie pontificale. Vers 15 50, presque tous les savants du nord de l'Europe se servaient de cette écriture, du moins lorsqu'ils écrivaient en latin, car presque tous étaient aussi des humanistes.

Les humanistes

Le nom d'humaniste, dans l'Italie de la fin du XVe siècle, désignait un professeur d'humanités, c'est-à-dire de ces matières qui composaient le programme d'enseignement établi par des Florentins tels que Leonardo Bruni, et mis en pratique par Guarino de Vérone,Vittorino da Feltre. Le but de cet enseignement était de préparer les jeunes hommes à une vie vouée au service de la communauté en leur faisant acquérir un fonds solide de connaissances, des bases morales fermes et la capacité de s'exprimer avec élégance aussi bien en paroles qu'en écrits. Le véhicule de l'instruction, comme celui de la pensée, était le latin, un latin puisé dans l'Antiquité et purifié du barbarisme médiéval, grâce au contact permanent avec les classiques, avec Cicéron et Virgile surtout. 

Ces deux auteurs, bien sûr, n'avaient pas été ignorés du Moyen Age, mais maintenant, avec les autres écrivains latins, avec aussi les grands classiques grecs (étudiés par les professeurs eux-mêmes et par certains de leurs élèves), ils constituaient l'essentiel d'une formation qui se voulait intellectuelle et morale.

 La grammaire, la rhétorique et le style, la littérature, la philosophie et l'histoire (qui instruisait par l'exemple), telles étaient les «humanités» enseignées par l'humaniste. Par extension, ce terme en vint à désigner tous ceux qui professaient le même idéal que les éducateurs, et qui considéraient, comme eux, le grec et le latin comme les plus nobles moyens d'expression de la sagesse. C'est dans ce sens que les savants de la Renaissance sont des humanistes, en particulier ceux qui consacrèrent leurs travaux à l'examen scientifique de problèmes littéraires, historiques et archéologiques. 

Ces hommes n'étaient pas ce qu'on appelle des éducateurs, car leurs volumineux ouvrages s'adressaient à leurs confrères, de la même façon que les recherches d'un physicien d'aujourd'hui ne sont intelligibles qu'aux seuls spécialistes de cette discipline. Il se créa ainsi une véritable «république des Lettres». De nombreux savants et écrivains éminents se trouveront être étudiés par divers collaborateurs de ce volume: un tel chevauchement est inévitable et même indispensable. Parmi ces savants, certains non seulement ont réussi à élargir nos connaissances dans un domaine donné, mais ils ont en même temps pris une part active aux problèmes éthiques ou politiques de leur époque. Erasme, par exemple, fut un extraordinaire philologue, et la plus grande partie de son oeuvre consiste en éditions des Pères de l'Église, des auteurs classiques et, surtout, du Nouveau Testament. Cependant, ses Colloques pédagogiques se transformèrent en dialogues stigmatisant la corruption de la société et, de même, ses Adages glissèrent vers la satire mordante; quant à l'Éloge de la folie et à julius Exclusus, ce sont des critiques directes de la société de son temps.

Les humanistes étaient donc beaucoup plus que des pédagogues. Leurs préoccupations morales les entraînaient à jouer un rôle public. Quelques-uns, nous le verrons, adoptèrent une philosophie dérivée du néo-platonisme qui leur faisait considérer l'Homme comme le centre de l'univers, comme un être mi-terrestre, mi-divin, dont le corps et l'âme composaient un microcosme capable de comprendre et de dominer la Nature, et aussi d'aspirer à l'appréhension de Dieu. Sur un plan moins élevé, la plupart des humanistes prenaient à leur compte la déclaration de Térence: Nil humani a me alienum puto, «rien de ce qui est humain ne m'est étranger».

 Par ce trait, les humanistes de la Renaissance pourraient sembler présager sinon devancer nos modernes «humanistes» qui construisent de grandes théories éthiques sans le support d'une religion établie. Rien, pourtant, ne serait plus faux. Tout en ayant profondément révisé certains concepts moraux antérieurs, les humanistes, presque sans exception, continuaient à croire en un Créateur, en la mission divine du Christ, en la nécessité des sacrements et en la hiérarchie de l'Église. Il est certain que les critiques accumulées contre l'Église romaine allaient se muer en une longue révolte sous l'impulsion du génie de Luther



Il existait déjà plusieurs Églises au sein de la chrétienté. Les Grecs orthodoxes étaient séparés de Rome (et sous tutelle russe à partir de 14 5 3), et de même les waldensiens et, plus tard, certains Tchèques. Luther publia ses 9 5 thèses en 15 17 et, en 15 22, condamné par le pape, se retrancha dans un défi plus intransigeant encore. La doctrine de la justification par la foi n'était pas nouvelle, mais les divisions de l'Allemagne et sa longue haine à l'égard de Rome acquirent à Luther l'appui des laïcs; ses talents de propagandiste, en latin comme en allemand, contribuèrent également à lui valoir une large audience populaire. 

En Allemagne, ce furent les princes qui déterminèrent la scission, ceux qui «protestèrent» en i 5 2q et donnèrent son nom au mouvement. Ailleurs, les changements d'ordre religieux furent aussi le fait des souverains: l'Angleterre en est un exemple. Dans l'ensemble, les villes se montrèrent plus radicales encore. Si les anabaptistes et leur programme de révolution sociale furent violemment écrasés, les doctrines de jean Calvin s'implantèrent à Genève et en bien d'autres régions, en France, en Ecosse et dans les Pays-Bas.

 L'extension prise par le protestantisme obligea Rome à redéfinir sa position sur plusieurs points essentiels, ce qu'elle fit au concile de Trente (i 545-63), consommant ainsi la division de la chrétienté. Vers le milieu du XVje siècle, les Églises se comptaient par dizaines, chacune cependant considérant l'unité comme un idéal. Il se trouvait des humanistes dans tous les groupements confessionnels, de même qu'avant le durcissement d'attitude provoqué par Luther ou, à l'intérieur de l'Église, par des réformateurs tels qu'Ignace de Loyola, fondateur des jésuites en 1534, existaient des humanistes professant les affinités spirituelles les plus diverses.

Les conquêtes de la Renaissance

On a trop souvent attribué à la «Renaissance du savoir» l'origine de l'étonnant progrès des sciences au XVIIe siècle. Certes, il y eut, au cours du Moyen Age et de la Renaissance, des hommes qui s'intéressèrent à ce que nous appelons les questions scientifiques. Ceux qui vécurent durant la période qui nous occupe sont effectivement des «savants de la Renaissance», mais, d'une faon générale, ils n'étaient pas des humanistes. Ils travaillaient, pour la plupart, selon d'anciennes traditions académiques, en des centres comme Paris ou Padoue, où les humanités n'étaient pas particulièrement florissantes.

 C'est pour cette raison que nous n'étudierons pas dans ce livre le développement des mathématiques, de la physique, de la biologie ou de l'anatomie. Des progrès furent réalisés dans ces domaines, mais (à part la préparation d'éditions améliorées d'ouvrages scientifiques ou pseudo-scientifiques - dont les textes étaient pourtant très fautifs) les humanistes n'y eurent point de part.

Il faut donc se défier d'attribuer à la Renaissance une portée religieuse exagérée ou de la créditer d'un encouragement positif aux sciences. En ce qui concerne la politique, discernons-nous, au cours de cette période, un changement caractéristique dans l'attribution ou l'exercice du pouvoir, dans la conception du gouvernement?

 Là encore, nos devanciers auraient répondu oui: c'est au cours de la Renaissance, et sans doute sous son influence, que s'élaborèrent l'État national, la monarchie nouvelle et, dans quelques pays privilégiés, l'avènement de la classe moyenne. Personne aujourd'hui ne s'aviserait de discuter sérieusement ces abstractions fumeuses, enfantées par l'optimisme du XlXe siècle. La plupart des pays - dont les populations, cependant, sentaient lentement mûrir en elles-mêmes leur langage vernaculaire et une sorte de patriotisme lui aussi vernaculaire - se voyaient gouvernés par des dynasties dont la préoccupation majeure était le maintien de la lignée et l'extension des domaines princiers. Au XVIe siècle, les rois d'Angleterre, de France ou d'Espagne ne furent pas beaucoup plus puissants qu'ils ne l'avaient été aux XIV' et XVe siècles, bien qu'on vît partout les grands vassaux se laisser attirer par la cour et

dépouiller de leur pouvoir politique. La petite noblesse et la bourgoisie se montraient peut-être, dans les pays du nord, plus remuantes qu'elles ne l'avaient été, mais l'histoire de leur «avènement» est fort longue et remonte indiscutablement bien avant l'année 15 00. Il n'est que deux points sur lesquels on constate un réel changement: d'une part, ce sont des laïcs instruits qui occupent les charges de l'administration, d'autre part, on voit la pensée politique s'approfondir et se diversifier. Dès le début du XVe siècle, des humanistes avaient été nommés à des postes importants à Florence et à Milan. Vers la fin du siècle, on les rencontrait dans toute l'Italie aux fonctions de secrétaires, de conseillers et de diplomates. Le XVIe siècle les voit recherchés par les souverains des plus grands royaumes, et cela fortifie leur conviction qu'ils ont un rôle éminent à jouer dans l'éducation du «gouverneur», puisque tel est le titre que Sir Thomas Elyot donne à son volumineux traité (i 5 3 i ), où il recommande une formation humaniste pour les jeunes nobles. Ainsi, les grinçantes machines administratives des royaumes de France et d'Angleterre, héritées en grande partie du Moyen Age, purent-elles commencer à fonctionner d'une manière plus efficace et, dans les conseils de gouvernement, dont l'usage se répandait partout, mais particulièrement en Espagne, ces nouveaux administrateurs étaient-ils à même de faire bénéficier le prince de cette capacité d'analyse des faits et de cette aisance d'expression des avis qu'ils avaient acquises par l'étude. En ce qui concerne la pensée politique, au début du XVIe siècle, paraissent enfin des hommes qui osent discuter la conduite des rois au lieu de leur faire un sermon sur leurs devoirs; et l'on voit aussi se dessiner la notion d'appui inconditionnel au prince autocrate.

L'Europe de la fin du XVIe siècle ressemble donc, à bien des égards, à l'Europe de deux cents ans plus tôt, bien que l'autorité de la royauté se soit encore renforcée. Le pouvoir de fait des rois sur l'Église devient un pouvoir de droit, grâce à la Réforme ou à des concordats. Les guerres sont plus meurtrières, et les soldats sont des mercenaires dont la discipline dépend de la régularité de leur solde - comme le prouve le tragique sac de Rome par les armées impériales mutinées en i 5 27. Les rois sont devancés par leurs sujets que leur esprit d'entreprise et de conquête conduit en Orient et en Amérique 


Les changements produits par l'adoption des idées et des moeurs de la Renaissance furent, en un sens, plus profonds que ceux, très lents, qui s'opérèrent dans la structure de la société et des gouvernements. 

La notion se fit jour - en Italie, dès le XVe siècle - que le civisme était la vertu sociale la plus importante, qu'elle obligeait l'individu à un dévouement total à la communauté, et qu'elle ne pouvait s'acquérir que par l'intermédiaire des humanités. Cette conviction entraîna l'adhésion à une forme d'art à la fois réaliste et exaltante et à une architecture empreinte de la sereine grandeur de Rome. Lycée, gymnarium, grammar school ont été les durables créations de la Renaissance. La petite noblesse et la bourgeoisie du XVIIe siècle y puisèrent une culture commune à l'ensemble de l'Europe, culture complétée par la coutume du traditionnel voyage en Italie, qui permettait à l'élite de remonter à la source même de la civilisation. Déchue et somnolente, l'Italie avait encore le pouvoir d'inspirer Poussin et Claude Lorrain. A Londres, sur les ruines de Saint-Paul incendié en 1666, Wren bâtit un temple protestant qui, sans vergogne, évoque Saint-Pierre de Rome.